Projet d'intellectualisation de la langue et ses variantes : L'expérience tchèque en exemple

Les recherches en sciences cognitives conjuguées aux sciences du langage ont bouleversé l’apprentissage des langues


Par M’hamed El Yagoubi
Lundi 2 Décembre 2013

Projet d'intellectualisation de la langue et ses variantes : L'expérience tchèque en exemple
J’ai déjà envoyé des commentaires sur l’article de l’anthropologue Abdellah Hammoudi qui portait sur l’enseignement des langues au Maroc dans lesquels j’ai essayé de porter quelques réflexions qui se nourrissent des sciences du langage et des sciences cognitives. Références théoriques dont je m’étais inspiré dans mes recherches doctorales au département des sciences de l’éducation à l’Université de Provence, actuellement Aix-Marseille-Université.
Il est souhaitable de les consulter dans les archives de ce journal (Libération). Je ne comprends pas de quelle posture le discours sur ce que l’on appelle la «darija» pourrait être légitimé pour qu’il soit recevable dans la communauté linguistique et éducative.
Il faut distinguer entre ce que veut dire langue, langage, code, parler, variantes des langues, langue de communication écrite, langue orale, etc. Si je partage à un certain niveau le souci et les interrogations de l’auteur de cet article, M. Kholal (1), il n’en demeure pas moins de se poser la question sur ce que veut dire arabe classique.
Je préfère parler de l’arabe de communication scolaire et institutionnelle parce qu’elle est plus appropriée et plus moderne. Le terme classique est source d’interrogations. Loin des a priori ou des préalables idéologiques, la question de la domestication de ce que l’on appelle la «darija» dans le système d’enseignement et d’apprentissage n’est pas une mauvaise alternative si par son apport, l’hypothèse d’une appropriation cognitive de la langue ou des langues est vérifiable.
L’erreur fondamentale au sens défini par le psychosociologue américain (1977) est bien identifiée dans la logique de l’officialisation de la «darija». Au Maroc, il n’y a pas une seule «darija» sinon le problème serait résolu avec le moindre effort. Il y en a plusieurs plus ou moins proches en fonction des variables sociales et spatiales.  Si on se situe dans la perspective sociolinguistique, on est dans un univers partagé par toutes les langues y compris les dominantes comme l’anglais, le français, l’espagnol, le russe, etc. C’est celui des variantes de la langue.  Qu’est-ce qu’une variante linguistique? Tout simplement une langue automatisée dans les pratiques quotidiennes et qui échappent aux processus contrôlés par le sujet. Là, nous sommes au coeur des normes linguistiques, domaine privilégié de nos amis chercheurs québécois. La langue arabe ne pose pas de problème en tant que système, voire métasystème.  
L’appropriation de son apprentissage fait défaut pour beaucoup d‘élèves, voire d’étudiants non à cause de ce qu’elle est mais de ce que l’on appelle le défaut dans sa conceptualisation conjugué à un ensemble de représentations idéologiques (langue du Coran, langue sacrée).
Il me paraît intéressant de s’inspirer des travaux des linguistes du Cercle de Prague surtout Havranek pour comprendre comment cette expérience scientifique avait produit un effet révolutionnaire dans la modernisation de la langue tchèque dans son enseignement et son apprentissage.
Les recherches en sciences cognitives conjuguées aux sciences du langage ont bouleversé l’ensemble des représentations que l’on faisait sur ce que veut dire apprendre une langue. Et c’est dans ce contexte scientifique prometteur que les nouvelles approches et démarches didactiques des langues ont été mises à contribution dans la compréhension et l’appropriation des langues.
La question posée dans mon commentaire est la suivante : y a-t-il un effort dans la conceptualisation de la langue arabe? Les concepteurs du matériel didactique ont-ils pensé aux apports des variantes dans le processus d’aide à la compréhension et surtout au déblocage cognitif des apprenants (les élèves) ? Quels sont les critères majeurs retenus dans le processus d’évaluation de l’appropriation de la langue arabe?
Pour répondre à cette dernière question, je pourrais mettre à jour trois critères largement entretenus dans ce que veut dire évaluer l’apprentissage de langue : 1) critère de compréhensibilité générale, 2) critère de précision, 3) critère d’exactitude. Il y a un proverbe français qui dit : «L’usage est le tyran des langues». (2)

Le contexte linguistique
du mouvement des trois
critères

L’institution scolaire constitue un lieu privilégié de la standardisation du comportement verbal puisque c’est à l’intérieur de celle-ci que s’organise et se fait la réflexion consciente autour de la langue et les ressources de la variante sélectionnée et qui n’est que langage des auteurs, prescrit dans des manuels et des textes eux-mêmes sélectionnés selon des critères plus ou moins correspondant aux attentes des apprenants et à leurs représentations.
La reprise définitionnelle et fonctionnelle de ces critères nous permet  de repenser le fonctionnement de l’apprenant en situation d’apprentissage d’une langue et les types des langages requis dans les disciplines en fonction de la place qu’ils occupent en référence aux représentations initiales et occurrentes qui orientent l’apprenant dans le processus de son apprentissage. Par conséquent, leur identification et leur explicitation facilitent la manière d’avoir une connaissance théorique et pratique de ces langages et les domaines auxquels ils sont requis. Michel Vial (1991) montre à propos de la langue française, qu’il faut tenir compte de deux précautions : ne pas confondre la langue française et les langages spécifiques aux disciplines et de ne pas demander à un langage ou (c’est la proposition inverse) ne pas reprocher à un langage de ne pas être la langue, ou langage spécifique. L’objectif du cours de français est l’acquisition d’un langage spécifique dont l’objet est le discours littéraire (y compris dans ses rapports à l’image), comme pour les mathématiques, l’objectif est un ensemble de langages spécifiques dont l’objet est la langue mathématique, ces deux enseignements étant donnés par et dans la langue véhiculaire.
S’il s’agit de dégager ou de faire une remarque importante à propos de la langue dans son emploi pratique, c’est qu’elle fonctionne dans les disciplines selon des critères qui doivent être maintenant définis et spécifiés en vue de dissiper un peu le brouillard autour du couple enseigner et apprendre la langue.

1) Critère de
compréhensibilité
générale

La compréhensibilité pure et simple est en jeu dans le langage du contact quotidien (conversationnel), ou la précision est donnée  non seulement par la convention mais aussi par la situation et la connaissance des circonstances  et des interlocuteurs. Son objectivité est donc considérablement limitée, même quand il s’agit d’un contenu très concret.

2) Critère de précision
Il s’agit normalement de la précision de l’expression (langue de travail administratif, commercial, journalistique, scolaire en partie, etc.). Cette précision est donnée par une convention ou une simple décision commune, l’objectivité de l’énoncé, c’est-à-dire son indépendance par rapport à la situation et à des personnes particulières, est beaucoup plus grande que dans le cas du langage rangé dans le critère de la compréhensibilité générale ou le langage «conversationnel». Il n’est que de comparer une lettre personnelle à une lettre de commande commerciale ou à un article sur un événement politique ou social.

3) Critère d’exactitude
La précision de l’expression dans les énoncés en langue standard est graduelle : elle culmine dans la langue scientifique où les mots doivent exprimer des concepts exacts. Havranek appelle cette univocité requise dans la langue scientifique «exactitude» distinguée de la notion plus ample de la «précision». Ce critère renvoie à une langue qui est celle de la science, achevée par définition ou codification, et en conformité avec l’exactitude de la pensée objective et qui tend vers une objectivité généralement valable. Pourtant, il est nécessaire de faire une distinction entre l’exactitude de l’expression, des termes techniques, (lampe / dispositif de lumière) et l’exactitude des concepts, de la pensée, par exemple. Il peut y avoir un concept précis pour lequel une expression exacte n’a pas encore été trouvée. Inversement, on peut rejeter l’inexactitude d’un terme et en même temps reconnaître l’exactitude du concept.
Il faut noter qu’une expression univoque, ou même celle qui n’est que conventionnellement précise, n’est pas compréhensible pour tout le monde. Cela peut être un terme ou une idée qui est étrangère à beaucoup de gens ; exemple, écriture ou la mise en correspondance entre le système phonique et le système graphique, le cerveau ou dispositif du traitement de l’information ou dispositif du calcul. Jean-Didier Vincent (1998) exprime cette caractéristique dans son article dans lequel le temps n’est peut-être pas loin où l’on dira : «Mon hypothalamus baigne dans la lubérine» au lieu d’un banal «Je vous aime», ou «Ma cholécystokinine monte» au lieu de «Je n’ai plus faim». Ainsi, on ne peut pas se servir de la compréhensibilité générale pour évaluer la précision et l’exactitude d’une expression du domaine des mathématiques ou d’une publication émanant des instances de recherche ou de l’imaginaire. Donc, il est évident qu’il est impossible et de surcroît incorrect d’élever l’un ou l’autre langage ou variété au rang de critère d’évaluation auquel les autre devront se soumettre pour une raison qu’un critère est quelque chose qui permet de discriminer.
En conséquence, l’évaluation peut rendre la situation éducative porteuse d’enseignement dans la mesure où le langage utilisé pour déterminer l’objet d’analyse permet de dépasser l’ambiguïté de la position subjective. Par le recours à un langage déterminé (formel ou informel), et en fonction de certains critères, l’évaluation dirige la communication sur l’objet d’analyse et non sur la personne, ce qui favorise la compréhension des éléments de la situation. Il s’agit de rappeler qu’en évaluation, à cause du recours à un langage ou à un code, il n’est possible de dire ce que le langage ou le code permet de dire. La prise en considération du lien entre le code et l’évaluation est importante dans la mesure où le type de langage choisi (parole, écriture, schéma, etc.) détermine le type de contenu de l’évaluation. Par exemple, on peut souhaiter recourir à un code reconnu pour l’exactitude de son mode de représentation: c’est le cas du code mathématique. Cependant, la précision recherchée n’est pas une caractéristique inhérente au réel mais bien une propriété du nombre utilisé comme code. Plus encore, le nombre comme résultat d’une mesure, n’est pas une preuve de la nature inhérente de l’objet auquel il s’applique : c’est que les propriétés attribuées à l’objet appartiennent aux propriétés caractéristiques du code. Cela permet de dire que l’évaluation se situe dans le rapport entre le langage ou le code utilisé et la perception de la réalité et que la codification est une caractéristique du processus d’évaluation et non de cette réalité. De cette façon, l’objet à évaluer se dessine à travers la forme ou le code qui traduit le mode d’organisation de la saisie de la situation.   Comme mode de traduction de l’évaluation, le code ne suppose pas un langage invariable au service de toutes les situations. En fait, il représente un langage en interaction avec les circonstances particulières de chaque expérience d’évaluation. Ceci veut dire qu’il n’est pas une réalité simple déjà toute constituée, capable de fonctionner indépendamment de l’individu qui cherche à comprendre la situation dans laquelle il est engagé. C’est le propre du code que de construire un cadre intelligible qui communique le rapport entre l’individu et sa perception et  la compréhension d’une situation, d’où l’importance d’adopter un langage qui se caractérise par une fonction interactionnelle, élément majeur de la relation en éducation dans un contexte d’apprentissage et de formation.
Si on s’accorde que les résultats d’une évaluation réussie se manifestent dans un code déterminé, c’est-à-dire au mode formel d’organisation de l’analyse de la situation, peut-on alors en conclure qu’on ne peut parler d’évaluation que lorsqu’elle est perçue et traduite dans un système formel : (schéma, représentation graphique, modification numérique, etc.) ? C’est là une position qui conditionne l’exercice de l’évaluation à une désignation formelle. Mais si on attache exclusivement de l’importance aux manifestations formelles des perceptions de la réalité, on laisse de côté les éléments informels qui font aussi partie du processus de mise en évidence du réel. En fait, la formalisation de la façon de percevoir une situation d’apprentissage se matérialise à partir d’un bassin d’éléments informels. Ainsi, l’évaluation en tant que substrat formel se nourrit et se construit sur un substrat informel. Dans ce cadre, les énoncés constituent l’aspect formel tandis que le processus relationnel implique l’aspect informel. Cette correspondance implique aussi à prendre en considération les acteurs comme des éléments indispensables au processus de communication. Dans ce sens, le côté formel se reconnaît au niveau du rôle de la personne qui formule des énoncés ou de celle à qui ils sont adressés ; par contre le côté informel correspond à l’identité ou à la personnalité de l’individu (processus). Donc, ces deux niveaux ne sont pas disjoints, ils sont effectivement en interaction. Rôle ou personne, énoncés ou processus, code formel ou informel sont des représentations des unités du concept de communication qui décrivent des modalités d’approche du réel. Elles constituent les rapports formels et informels qui produisent les liens entre l’évaluation et la mise en perspective de la réalité ou de la situation éducative dans son ensemble. Les inévitables problèmes de code pour traduire l’aspect formel ou l’aspect informel laissent deviner le caractère contextuel de la forme donnée à l’évaluation selon les perceptions des différents éléments de la situation. De cette façon, elle garde sa référence terrestre.    L’échelle de graduation peut s’exprimer selon l’ordre suivant allant de la notion plus large à la plus étroite :  exactitude, précision, compréhensibilité générale.

*Docteur en psychologie et sciences de l’Education (France)
(1)  Cf. notre édition du 25 novembre 2013 (p 17)
(2) Cf. la thèse de
doctorat en psychologie
et sciences de l’éducation soutenue par l’auteur en  2005
à l’université de Provence
(Aix-Marseille-Université)



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1.Posté par M''''hamed EL Yagoubi le 02/12/2013 20:03
Rappel
J'ai oublié de citer le nom du psychosociologue Américain. Il s'appelle Lee Ross qui a identifié et défini le concept de l'erreur fondamentale, qui veut dire : "Surdétermination des conditions subjectives sur les conditions objectives".

Prochaine article sera proposé sur les modélisations didactiques et les systèmes de références. Avec l'accord de l'équipe de la rédaction de Libération.

M'hamed EL Yagoubi
France

2.Posté par ex-enseignant le 03/12/2013 09:25
Mr ,votre commentaire s'adresse aux spécialistes ,or, l'information doit etre saisie par le commun des mortels,
le problème posé par l'homme de la pub Mr Ayouch ,poussé par d'autres ,est que l'enseignement doit se faire en darija à l'école primaire ,et bien sur plus tard au collège ......
il y a plusieurs darijas, la darija est un parler décousu,ni écrit ,ni lu,
Mr Ayouch est au service des privilègiés soucieux de garder le gateau qu'ils lègueront à leurs enfants formés dans les écoles de missions et à l'étranger, ces enfants connaissant les langues ,arabe,français,anglais ,
et Mr Ayouch veut réserver la darija aux enfants pauvres ne pouvant ,au plus ,atteindre le brevet ,pour etre des ouvriers sachant lire et écrire ,
au maroc ,on veut cacher une vérité qui est la suivante :on ne posséde pas de langue parlée, écrite et lue,
donc il faut apprendre une ou plusieurs langues structurées comme l'arabe fousha, le français ,l'anglais ...
je dis bien apprendre et j'insiste ,apprendre par coeur ,pour pouvoir comprendre une langue ,bien sur pour les marocains des simplifications s'imposent jusqu'au collège
heureusement que Mr Ayouch était inconnu lorsque nous étions envoyés ,avec joie, à l'école moderne avec des enseignants marocains et français soucieux de nous apprendre en langues structurées ;arabe et français!
Mr Ayouch veut un enseignement de darija pour les pauvres et un enseignement de langues structurées pour les riches!
l'enseignement aux enseignants,!
la pub fructueuse pour Mr Ayouch !(tel savon lave mieux que tel autre,et ça rapporte)

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